25 mai 2011
par Jacques Cuvillier, Retraité de l’enseignement supérieur
Aucun en toute logique, même si la vue de la souffrance nous incite à la compassion. Il n'est pas de raison d'absoudre celui ou celle envers qui l'on en éprouve. On pourrait toutefois expliquer cette tendance par notre culture chrétienne imprégnée de cette notion qui fait coexister souffrance et innocence. Le Christ pour commencer — victime sainte et sans tâche — qui renvoie aux rites du judaïsme, où l'animal « élevé » en holocauste devait ne présenter aucun défaut physique. Souffrance et de l'innocence concernent aussi l'humain : la fête des « saints innocents » commémore le massacre des jeunes enfants de Bethléem. Et combien de noms le calendrier ne contient-il pas en souvenir des saints martyrs qui ont perdu la vie du fait de leur foi, dans des conditions soigneusement relatées afin que l'atrocité de la souffrance soit le gage de leur sainteté ?
Dans cette optique, c'est par la souffrance subie, au besoin même par celle que le pénitent s'inflige volontairement, que nos fautes seraient en définitive effacées, expiées.
Prouver sa souffrance, surtout injustement subie, serait donc une façon de montrer son innocence : « Voyez comme j'ai souffert ! Pouvez-vous encore douter ? »
Mais on peut aussi voir une autre signification. Un être qui a beaucoup souffert physiquement et moralement du fait de ses semblables ne peut correctement survivre si la société ne le rétablit pas dans son honneur. La question lancinante qui reviendra sans cesse à son esprit sera toujours celle-ci : « vous tous, de cette société qui m'entoure, condamnez-vous ce qui m'a été fait ? »
Si la réponse est en substance « non, on s'en moque » il est clair que la société se constitue comme une faction hostile dans laquelle il n'aura pas sa place. Comment pourra-t-il alors se concevoir comme l'un de ses membres, qui contribuera à son fonctionnement, qui saura en accepter les règles ?
Si la réponse est clairement « ce qui t'a été fait n'est pas normal et nous le réprouvons avec force », alors la reconstruction de l'être social est possible. À condition que les fautifs soient désignés et traités comme tels sans ambiguïté.
Dans les récents développements médiatiques de l'affaire d'Outreau, la souffrance s'affiche avec insistance :
La présentation de la vidéo « présumé coupable », d'autres séquences facilement disponibles sur le net, et tout dernièrement l'émission Zone interdite avec Karine Duchochois, reprennent l'idée selon laquelle la justice aurait complètement failli et broyé la vie de personnes mises en cause et exhibent de la souffrance des acquittés qui veulent maintenant consolider leur statut d'innocents.
La courte vidéo de Chérif Delay — victime parmi les douze enfants reconnus victimes dans cette affaire — préfigure le film de Serge Garde à leur sujet. Son livre bouleversant « je suis debout » aussi : accusé de rien, il veut dire son vécu et se reconstruire.
Comment interpréter leur message ? En quoi se distinguent-ils ?
Une différence saute aux yeux, en particulier des yeux des personnes qui connaissent bien la psychologie des victimes : Chérif ne prétend pas à son innocence, mais à sa culpabilité. Culpabilité de n'avoir pas parlé plus tôt, de ne pas avoir su protéger les autres enfants, de n'avoir pas résisté de ses quinze ans à l'écrasante charge lors du procès. Ce sentiment est caractéristique d'une authentique position de victime qui tourne d'abord son ressenti contre elle-même.
Autre différence tout aussi visible : Chérif est réfractaire à la pitié qui lui est insupportable, qui le fait passer dans la zone basse du regard des autres. Une bonne raison sans doute de dire « je suis debout » pour retourner dans la sphère de la relation équitable.
À ce témoignage qui bien que terrible ne demande que la reconnaissance de la vérité, sans prétendre à l'innocence, sans réclamer de compassion, s'oppose ceux des acquittés qui vont manifestement en sens contraire.
Voilà qui ne permet sans doute pas de considérer les témoignages de la même façon.
Pour lire l'article, cliquez sur le logo du Monde
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par Jacques Cuvillier, Retraité de l’enseignement supérieur
Je suis innocent ! Mais comment le faire croire ? À la racine du mot, le latin nocere signifie nuire. L'innocent serait donc celui qui n'a pas nui. Vaste prétention. D'une manière plus restreinte, on dira d'une personne qu'elle est innocente vis-à-vis des faits qui lui sont reprochés. Lorsqu'il y a litige, ce sont les observations et les déductions qui peuvent éclairer la situation.
Mais que vient faire ici la souffrance ? À quel point interfère-t-elle avec le sentiment qui nous porte à croire en l'innocence d'une personne qui prétend l'être ?Aucun en toute logique, même si la vue de la souffrance nous incite à la compassion. Il n'est pas de raison d'absoudre celui ou celle envers qui l'on en éprouve. On pourrait toutefois expliquer cette tendance par notre culture chrétienne imprégnée de cette notion qui fait coexister souffrance et innocence. Le Christ pour commencer — victime sainte et sans tâche — qui renvoie aux rites du judaïsme, où l'animal « élevé » en holocauste devait ne présenter aucun défaut physique. Souffrance et de l'innocence concernent aussi l'humain : la fête des « saints innocents » commémore le massacre des jeunes enfants de Bethléem. Et combien de noms le calendrier ne contient-il pas en souvenir des saints martyrs qui ont perdu la vie du fait de leur foi, dans des conditions soigneusement relatées afin que l'atrocité de la souffrance soit le gage de leur sainteté ?
Dans cette optique, c'est par la souffrance subie, au besoin même par celle que le pénitent s'inflige volontairement, que nos fautes seraient en définitive effacées, expiées.
Prouver sa souffrance, surtout injustement subie, serait donc une façon de montrer son innocence : « Voyez comme j'ai souffert ! Pouvez-vous encore douter ? »
Mais on peut aussi voir une autre signification. Un être qui a beaucoup souffert physiquement et moralement du fait de ses semblables ne peut correctement survivre si la société ne le rétablit pas dans son honneur. La question lancinante qui reviendra sans cesse à son esprit sera toujours celle-ci : « vous tous, de cette société qui m'entoure, condamnez-vous ce qui m'a été fait ? »
Si la réponse est en substance « non, on s'en moque » il est clair que la société se constitue comme une faction hostile dans laquelle il n'aura pas sa place. Comment pourra-t-il alors se concevoir comme l'un de ses membres, qui contribuera à son fonctionnement, qui saura en accepter les règles ?
Si la réponse est clairement « ce qui t'a été fait n'est pas normal et nous le réprouvons avec force », alors la reconstruction de l'être social est possible. À condition que les fautifs soient désignés et traités comme tels sans ambiguïté.
Dans les récents développements médiatiques de l'affaire d'Outreau, la souffrance s'affiche avec insistance :
La présentation de la vidéo « présumé coupable », d'autres séquences facilement disponibles sur le net, et tout dernièrement l'émission Zone interdite avec Karine Duchochois, reprennent l'idée selon laquelle la justice aurait complètement failli et broyé la vie de personnes mises en cause et exhibent de la souffrance des acquittés qui veulent maintenant consolider leur statut d'innocents.
La courte vidéo de Chérif Delay — victime parmi les douze enfants reconnus victimes dans cette affaire — préfigure le film de Serge Garde à leur sujet. Son livre bouleversant « je suis debout » aussi : accusé de rien, il veut dire son vécu et se reconstruire.
Comment interpréter leur message ? En quoi se distinguent-ils ?
Une différence saute aux yeux, en particulier des yeux des personnes qui connaissent bien la psychologie des victimes : Chérif ne prétend pas à son innocence, mais à sa culpabilité. Culpabilité de n'avoir pas parlé plus tôt, de ne pas avoir su protéger les autres enfants, de n'avoir pas résisté de ses quinze ans à l'écrasante charge lors du procès. Ce sentiment est caractéristique d'une authentique position de victime qui tourne d'abord son ressenti contre elle-même.
Autre différence tout aussi visible : Chérif est réfractaire à la pitié qui lui est insupportable, qui le fait passer dans la zone basse du regard des autres. Une bonne raison sans doute de dire « je suis debout » pour retourner dans la sphère de la relation équitable.
À ce témoignage qui bien que terrible ne demande que la reconnaissance de la vérité, sans prétendre à l'innocence, sans réclamer de compassion, s'oppose ceux des acquittés qui vont manifestement en sens contraire.
Voilà qui ne permet sans doute pas de considérer les témoignages de la même façon.
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