« Si un individu s’expose avec sincérité, tout le monde, plus ou moins, se trouve mis en jeu. Impossible de faire la lumière sur sa vie sans éclairer, ici ou là, celles des autres »
Simone de Beauvoir – La force de l’âge
« L’information est le seul bien qu’on puisse donner à quelqu’un sans s'en déposséder. »
Thomas Jefferson,
l’un des rédacteurs de la Déclaration d'Indépendance des États-Unis,

De l'esprit des lois (1748)

Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires.
Charles de Secondat, baron de Montesquieu

10 janvier 2004

10/ Les mères selon Roland Coutanceau

Page 163

On est en droit de se demander si finalement il n'y a pas là un processus d'aveuglement, et si celui-ci n'est pas plus ou moins conscient. Peut-être qu'au fond, elle a compris et ne veut pas le croire. Peut-être, mais si le résultat de ce questionnement fugace, c'est d'exclure l'hypothèse de l'inceste, on voit qu'à la différence de la situation où la mère ne sait rien et n'a jamais envisagé cette possibilité, là, la question est posée en pleine conscience. Et cela oblige, en cas de dénégation, à une réorganisation psychique pour la mère, qui intègre l'hypothèse de l'inceste et le jugement selon lequel cette hypothèse n'est pas crédible. De façon analogue, c'est un peu ce qui se passe dans les situations d'infidélité conjugale où un protagoniste pense à partir de quelques indices que l'autre peut être infidèle, réfute l'idée et est forcé, pour en être sûr, d'organiser son imagination de manière à se rassurer en toute bonne foi. Cette réorganisation doit prendre le dessus avec netteté, et cela plus nécessairement dans la situation incestueuse que dans la situation d'infidélité.

Faut-il donc que cet impensable, pourtant pensé un instant, soit repoussant au point de menacer la totalité du psychisme d'une personne ?

Tout à fait. Il faut comprendre que l'idée que son mari puisse coucher avec sa fille, avec toutes les conséquences que cela peut avoir, est un traumatisme tellement intense qu'il devient légitime de le rejeter comme impensable et de refermer de façon naturelle le questionnement. Cela permet à la mère de cicatriser la brèche un instant ouverte dans sa pensée. On voit parfois des femmes plus matures qui essaient d'observer avec méthode ce qui se produit. Dans le fond, elles conçoivent l'hypothèse, ou même ont deviné et questionnent leur fille. Ces femmes aideront l'enfant à leur dévoiler l'histoire.

Mais il faut pour cela une force de caractère que, dans mon expérience, je ne rencontre pas souvent. Cette rareté est en soi une preuve que l'inceste est de l'ordre de l'inconcevable, et qu'il constitue une considération d'une extrême violence, capable de désorganiser l'imaginaire familial au point que tout s'effondre : une fille traumatisée d'avoir été dans une position si vulnérable, d'avoir été marquée par le sexe avant l'heure, un homme qui s'apparente désormais à un monstre, qui a trahi la confiance de son épouse, qui a trahi sa propre fille, qui s'est rendu indigne de sa fonction de père. Dans une logique d'économie psychique, on comprend que la mère ait intérêt à effacer une telle turbulence, une situation si éloignée de la norme.

…/…

Je note le cas où la mère s'efforce de faire pression sur le père. Animée par le désir de sauver la famille et de régler la situation sans que cela sorte du cercle familial, elle chapitre son mari, essaie de faire pression sur lui pour qu'il ne recommence pas. Cette femme qui tente de faire face, utilise les armes dont elle dispose : elle questionne son époux, l'interpelle, intervient pour modifier les situations favorables aux actes délictueux, le surveille, et le menace : « Si tu recommences, je fais appel à la justice. » Elle finira parfois par mettre à exécution les menaces qu'elle profère, mais cela demandera du temps, car sa volonté est de minimiser ce qui s'est passé pour préserver son couple et sa famille. Elle mise sur une sorte d'autorégulation interne à la famille, lui permettant de ne pas révéler la situation. C'est son choix, mais il est fondé sur l'illusion que ce type de menaces peut agir sur le père, que le cataclysme de la découverte du comportement incestueux pourra passer sans désorganiser la famille, sans la faire éclater, puisque l'incarcération de son époux aura été évitée.

Ces femmes ne parviennent~elles donc jamais à leur objectif ?

Il y a des situations où cela marche : le père arrête de toucher ou de violer sa fille. La démarche de la mère, son chantage auront été opérants et, dans ces cas, la victime n'a pas d'animosité contre sa mère. Et puis, soit il n'y aura jamais de dévoilement et ce type de dénouement ne parvient pas à notre connaissance, soit l'arrêt des agressions, définitif ou seulement temporaire, n'empêche pas l'enfant ou l'adolescente de dévoiler les faits quelque temps après, parce que l'arrêt des agressions ne suffit pas à résorber sa souffrance, son mal-être.

Bien souvent, la menace ne suffit pas : les agressions ne s'arrêtent que momentanément, le père jauge la détermination de sa femme à le dénoncer, puis finit par recommencer. Son égocentrisme fait penser à cet homme que, si les menaces ne sont pas encore mises à exécution, elles ne le seront jamais, même si elles se répètent. Et c'est seulement quand la situation devient intenable, que la mère, remontée à bloc, fait intervenir un tiers ou entame un dialogue avec sa fille qui leur permettra d'agir ensemble. Ainsi, bien qu'il ait agi dans une famille tolérante et souhaitant conserver le secret en son sein, et malgré les multiples signaux qui lui ont été adressés pour mettre fin à sa conduite, le père n'a pas saisi la perche tendue pour tenter de se contrôler. Cette seconde situation correspond donc à des mères toniques, qui veillent au grain, agissent seules au début avec plus ou moins de bonheur, et finissent le plus souvent par alerter la société en cas d'échec.
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Voir aussi les billets concernant le livre de Roland Coutanceau :
1/ Vivre après l'inceste : Haïr ou pardonner
2/ Peut-on pardonner ?

3/ Un silence difficile à rompre
4/ Désordres relationnels et sexuels

5/ Le père incestueux
*/ L'enfant investi d'une sorte de mission

6/ Les milieux sociaux et culturels
7/ Quelques conséquences sur les survivantes
9/ Trois profils des pères incestueux
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9 janvier 2004

9/ Trois profils des pères incestueux par Roland Coutenceau

Pages 154-155

Les immaturo-névrotiques reconnaissent beaucoup de choses, se sentent honteux, parfois coupables, admettent un retentissement sur leur fille, demandent des soins, font une recherche spontanée pour comprendre ce qu'ils ont fait, sont dans une quête plutôt authentique même si tout n'est pas clair dans leur attitude. Ils relèvent d'une thérapie individuelle ou de groupe.


Les immaturo-égocentriques ont des positionnements contrastés, partagés, avec un désir de se comprendre mais aussi un désir de se protéger après l'acte et, au fond, une volonté égocentrique de pâtir le moins possible. Ils admettent des faits ou bien ont des mensonges d'enfant, nient des évidences. Le thérapeute peut avoir de la sympathie pour leur histoire traumatique, mais être irrité par leur nature égocentrique. Ceux-là évoluent peu en psychothérapie individuelle et nous les plaçons dans des groupes pour les confronter à des gens qui ont un peu plus avancé et ont un rapport plus autocritique à eux-mêmes.


Les immaturo-pervers restent défiants, nient les faits, n'ont pas d'empathie ni de sentiment pour leur fille, nient la loi. Ils sont en deçà de toute approche thérapeutique simple, classique. Ils irritent les thérapeutes qui se sentent parfois impuissants et développent un rejet à leur égard, estimant qu'ils méritent plutôt d'être punis que d'être pris en charge. Notre technique consiste à mettre un seul de ces sujets dans chaque groupe pour qu'il soit confronté à d'autres qui ont des positions plus ouvertes, plus critiques. On les trempe en quelque sorte dans un bain humain : cette « trempette » favorise de façon quasi chimique une certaine perméabilité psychique. Nous faisons le pari qu'ils s'imbiberont des questionnements des autres et que leur position tonique, voire tonitruante, qui est une position mégalomaniaque liée à une fragilité, à la peur de l'autre, devienne friable, se fissure. Là, nous sommes à la limite de la recherche, car beaucoup de praticiens se sentent dépourvus d'outils opérationnels face à ces sujets et ne veulent pas s'en occuper.

Je pense pour ma part que, derrière ces attitudes de défi, de bravade, peut se révéler au cours de la psychothérapie une souffrance masquée, un questionnement intérieur, alors que lors de l'expertise psychiatrique, ils ont été décrits comme extrêmement fermés, imperméables à l'interpellation.

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Voir aussi les billets concernant le livre de Roland Coutanceau :
1/ Vivre après l'inceste : Haïr ou pardonner
2/ Peut-on pardonner ?

3/ Un silence difficile à rompre
4/ Désordres relationnels et sexuels

5/ Le père incestueux
*/ L'enfant investi d'une sorte de mission

6/ Les milieux sociaux et culturels
7/ Quelques conséquences sur les survivantes
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8 janvier 2004

8/ Le dévoilement par Roland Coutanceau

Page 139

Le dévoilement, qui peut rester privé, confiné dans le milieu familial, ou avoir une issue sociale, juridique, mérite un chapitre à soi seul. En attendant de développer cette question, et en réponse à votre remarque, je constate qu'effectivement, le comportement délictueux peut perdurer bien que l'enfant ait parlé, bien qu'un tiers en ait pris connaissance. La raison en est que ce tiers n'a pas été en mesure d'incarner les interdits sociaux, d'avoir l'appréhension positive de la culture et de l'humanité qui donne la force, la détermination d'affronter les conséquences du dévoilement devant la société.

Certaines femmes, informées, tentent d'interpeller le père incestueux, mais le chantage qu'elles exercent sur leur époux, en le menaçant de le faire savoir, apparaît très souvent inopérant. Le père reprend le dessus et manipule à nouveau le système familial. Pour que la menace fonctionne, la femme doit se doter d'un statut d'adulte clair, capable de poser des interdits.


Voir aussi les billets concernant le livre de Roland Coutanceau :
1/ Vivre après l'inceste : Haïr ou pardonner
2/ Peut-on pardonner ?

3/ Un silence difficile à rompre
4/ Désordres relationnels et sexuels

5/ Le père incestueux
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6/ Les milieux sociaux et culturels
7/ Quelques conséquences sur les survivantes


9/ Trois profils des pères incestueux

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6 janvier 2004

6/ Les milieux sociaux et culturels par Roland Couteanceau

Page 124
L'inceste se rencontre dans tous les milieux sociaux et culturels, mais plus fréquemment dans les milieux défavorisés. Certains auteurs attribuent à l'intelligence du père une plus grande capacité à négocier avec sa fille, à mettre en avant des arguments qui la dissuadent d'aller devant la justice, à demander pardon plus facilement. Il est aussi concevable que le tabou de l'inceste existe avec plus de force dans les milieux cultivés. J'entends parfois des discours de type : « Je savais bien que cela ne se faisait pas mais je ne croyais pas que c'était aussi grave. »

A l'évidence, ils n'émanent pas de sujets ayant un bon niveau culturel.

J'ai toujours quelques difficultés à accepter ce lieu commun que l'inceste "n'émane pas de sujets ayant un bon niveau culturel". C'est un peu pourquoi je fais mes recherches que je mets sur mes blogs. Mon père est officier supérieur. Niveau culturel me semble t-il bon, à moins que les cadres de l'armée française ne soient des imbéciles. Evidemment c'est grave !
Au début des années 90, dans mes années militantes, j'ai rencontré de nombreux survivants du même milieu social que le mien et c'est eux qui ont commencé à dévoiler l'ampleur du problème. Par la suite, la justice et les psychanalystes n'étant pas formés ni ouverts à leur malheur, ils n'ont pas fréquenté ces endroits. Ce sont souvent des personnes qui avait un rôle de "victimes expiatoires" au sein de la famille incestée, et personne ne les aidant, elles le sont restées.
Dans Festen, personne ne va chez le psy, chacun tyrannise l'autre ou est tyrannisé. Ce film est accepté ou violemment rejeté, il fait peur. Est-il une réalité ou un film ? J'affirme qu'il est une réalité.

Les survivants des milieux bourgeois sont nombreux et ont négocié l'emprise. Vous ne les connaissez pas, parce qu'ils ne sont pas démonstratifs. Ils sont la partie cachée de l'iceberg. Nous en rencontrons beaucoup parmi les artistes, certains ont écrits des témoignages, d'autres non, et je leur rends hommage sur ce blog :

Barbara
Georges Bataille
Christiane Rochefort
Niki de Saint Phalle
Delphine Serig
Virginia Woolf
Autres billets sur Virginia Woolf
Ta vie sauvée enfin par Alice Miller

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1/ Vivre après l'inceste : Haïr ou pardonner
2/ Peut-on pardonner ?
3/ Un silence difficile à rompre
4/ Désordres relationnels et sexuels
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8/ Le dévoilement
9/ Trois profils des pères incestueux

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5 janvier 2004

5/ Le père incestueux par Roland Coutenceau

Le père incestueux, un être "immature égocentrique"
Page 117
– Les sujets qui commettent l'inceste se caractérisent par des traits de personnalité, où dominent inhibition et tendance obsessionnelle, ce qui les empêche d'aller vers l'autre et entrave leur épanouissement, par une psychorigidité et un égocentrisme qui réduisent leur monde émotionnel, et accentuent un repli sur soi.
– L'attrait pour les sujets prépubères constitue un fantasme régressif qui envahit le père, le déborde et le pousse à l'acte. Mais ce type de sexualité est pour lui une sexualité secondaire, alors qu'elle est la sexualité exclusive ou préférentielle des pédophiles. – Sous l'angle psychosexologique, le père incestueux se caractérise par une immaturité relationnelle et sexuelle qui plonge ses racines dans les frustrations de l'adolescence. Son incapacité à développer une sexualité relationnelle, de type adulte, est le facteur dominant qui conduit ces sujets à rechercher du plaisir avec des enfants.
– L'histoire personnelle des pères incestueux intervient peu de façon directe dans le déterminisme de leur comportement. Elle est surtout en cause dans l'immaturité psychoaffective qui les caractérise.
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1/ Vivre après l'inceste : Haïr ou pardonner
2/ Peut-on pardonner ?
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4 janvier 2004

4/ Roland Coutenceau : Désordres relationnels et sexuels

page 74
L'humiliation d'avoir subi l'emprise a également entraîné sa sexualité et son rapport à l'autre vers une tendance à la soumission à tonalité masochiste, avant que, longtemps après, elle ait pu s'en dégager. « Tu m'as provoqué, donc tu subis », lui dit en substance son père, reprenant la justification fallacieuse la plus fréquemment entendue chez les agresseurs sexuels, quel que soit leur objet, à la différence près que cette accusation, qui s'est inscrite dans la durée et a pu produire un véritable mode relationnel avec le père, a eu le temps de s'imprimer profondément, de se cristalliser dans le psychisme d'Ida, de déterminer un mode relationnel semblable avec les hommes, l'empêchant pendant longtemps de trouver sa liberté. Une relation incestueuse est obligatoirement une expérience sexuelle, marquante, traumatisante. Une relation incestueuse qui dure, transforme le mental de la victime en une façon d'être qui la constitue, en un « être-au-monde » dont il peut être difficile de sortir.

page 113

R. C. – Je voudrais revenir sur ce que m'a appris l'écoute de beaucoup de victimes, en l'occurrence les variations que connaissent la nature, l'intensité, mais aussi la fréquence et la durée des signes du traumatisme clinique comme du traumatisme psychique. C'est véritablement stupéfiant. Les signes cliniques s'estompent chez certaines victimes en quelques semaines après le dévoilement, une fois que le père a été mis en prison, que l'enfant a été rassuré, alors qu'ils vont durer pendant des mois, voire des années, chez d'autres. Le retentissement psychique, qu'il est plus intéressant d'élucider, est souvent plus tenace, mais diffère aussi d'un sujet à l'autre. Je parle d'évolution spontanée, en dehors de toute thérapie, et pour le même type de phénomène incestueux, car, bien sûr, il faut comparer ce qui est comparable. Un inceste qui s'est produit une fois a nécessairement un impact différent d'un inceste qui a duré des années et a nourri pendant ce temps une forte désorganisation psychique. Cela est éminemment intéressant pour la suite, pour la compréhension et l'aide aux victimes.

Pour ce qui est de la vie affective et sexuelle des adolescents et des adultes, les conséquences de l'inceste sont aussi très variables : certaines victimes n'ont aucune difficulté, tandis que d'autres ont une inhibition sexuelle, globale ou partielle, des blocages précis, des troubles du désir, une anorgasmie, une inappétence sexuelle ; certaines ressentent un malaise vague au moment des relations, d'autres se réfugient dans l'abstinence.

La sexualité, dans ses aspects physiques comme imaginaires, fantasmatiques, n'est toutefois qu'un reflet de la relation à l'autre, et celle-ci peut être grandement perturbée. Des victimes multiplient les échecs amoureux, d'autres plongent dans des histoires de couple bancales, ou vont de bras en bras, s'installant dans une sexualité désordonnée, banalisée, d'autres encore font le choix de la solitude. Et puis, on en rencontre qui sont étonnamment épanouies et auront, souvent très jeunes, des expériences amoureuses et

sexuelles accomplies, créatives.
Il arrive parfois, longtemps après les faits, après une période sans trouble apparent, que le mal-être prenne des formes diverses, semble s'atténuer pour réapparaître sous la forme de troubles psychosomatiques ou comportementaux, de difficultés sexuelles ou relationnelles, de troubles du sommeil ou de l'appétit, d'une dépression. Dans ces cas, la victime ne fait pas toujours le lien avec le traumatisme incestueux, et c'est la prise en charge psychothérapique qui, faisant disparaître les troubles, révélera leur origine.

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Voir aussi les billets concernant le livre de Roland Coutanceau :
1/ Vivre après l'inceste : Haïr ou pardonner
2/Peut-on pardonner ?
3/ Un silence difficile à rompre

5/ Le père incestueux
*/ L'enfant investi d'une sorte de mission
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8/Le dévoilement
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3 janvier 2004

3/ Un silence difficile à rompre – Roland Coutenceau

Vivre après l'inceste – Haïr ou pardonner
Pour l'enfant, un silence difficile à rompre p 80-81
Le cœur de l'histoire se situe dans la tête de l'enfant et dépend de son degré d'évolution. Il est rare que les actes incestueux soient ponctuels, mais il arrive que des enfants, souvent très jeunes, toniques, le disent rapidement, des enfants « nature » ou qui ont une structure psychique simple, réactive. Au fond, ceux-là ne réalisent pas la menace que représente le père. C'est comme s'ils n'étaient pas organisés pour percevoir la nature sexuelle de l'agression. Ils la vivent comme une sorte d'asticotage, de comportement provocateur qui les agace : « Papa m'embête », « Papa me touche ». On a ainsi des réactions salutaires chez ces très jeunes enfants, qui restent malgré tout moins minoritaires.
Page 80

Il en va différemment dès qu'ils sont plus grands, au niveau de la période de latence, ce que l'on appelle l'âge de raison, entre sept ans et la puberté. Les enfants sont alors davantage constitués comme des êtres humains pensants. Leur psychisme est plus organisé et ils ont, du moins potentiellement, la capacité de verbaliser. Mais comme ils sont en même temps plus facilement impressionnables, ils en arrivent à « penser » la crainte que leur· inspire le père incestueux, et à anticiper les conséquences de leurs attitudes, cela – car il ne faut pas négliger le contexte – dans un monde qui pour eux se résume à la famille et qui, pour simplifier, est une espèce d'entité totalitaire où celui qui peut gratifier et punir est le père.

page 82

Bien sûr, il y a l'école, et il est tout à fait caractéristique que certains enfants parlent à l'école. Mais, même si l'école est là physiquement, même si elle fait partie de la vie quotidienne de l'enfant, elle n'est pas vécue comme appartenant à un monde où les normes, les lois qui régissent la famille seraient différentes. Il est donc difficile à l'enfant d'imaginer que parler au sein de ce monde pourrait le délivrer. La difficulté, pour un enfant ayant l'âge de raison, de raconter ce qui se passe chez lui, c'est qu'il n'est pas capable de penser à un autre lieu que sa famille où des choses, pressenties comme abusives, anormales, puissent se dire de manière que quelqu'un s'en saisisse et intervienne.

L'enfant ne peut pas penser que l'instituteur, le médecin ou le juge sont des indicateurs de repères sociaux qui le concernent. L'adulte tiers, celui qui n'est ni papa ni maman, n'existe pas avec assez d'intensité dans le psychisme de l'enfant. La comparaison avec un pays totalitaire où règne un tyran arbitraire et égocentrique est parlante : celui qui y vit ne peut pas penser qu'il y a un salut en dehors, qu'il a un moyen d'échapper à la tyrannie. Le monde mental que constitue la famille évoque à une petite échelle la situation d'un citoyen dans un pays totalitaire. Comme lui, l'enfant se sent prisonnier, il est enfermé dans un système clos.


page 83

Plus subtil que la violence, c'est la menace que distille le père, c'est une ambiance menaçante, une tension : l'enfant étant un être en devenir, son psychisme étant fragile, comment va-t-il réagir face à des menaces voilées ? Beaucoup d'enfants disent : « Je ne savais pas trop ce que je risquais. » La menace n'étant pas nommée, n'étant pas identifiée, l'enfant ne peut l'imaginer que redoutable : « Si je ne m'exécute pas, si je ne me laisse pas faire, si je parle, je vais subir un châtiment. » Cette menace indéterminée laisse le psychisme de l'enfant dans un état totalement démuni, car la violence potentielle est plus terrible que la violence physique elle-même.

page 86

La peur confuse de la réaction de l'autre se fonde dans une crainte plus générale, la crainte de l'hostilité, de l'agressivité que pourrait provoquer le fait de parler - de l'agression sexuelle bien sûr - mais aussi simplement d'exprimer un sentiment, une opinion. Il faut bien se souvenir que ces peurs se situent dans un monde où règnent totalitarisme et arbitraire. Pour l'enfant, la nature des gestes incestueux se clarifie à mesure qu'il grandit, mais l'emprise du père reste unique, totale : « C'est le seul qui pouvait me faire quelque chose. »

Avec notre savoir, nous pouvons penser qu'un enfant qui parle est sauvé, mais lui est à mille lieues de penser qu'un copain, la maîtresse, le docteur, la mère d'une copine, en bref que des gens extérieurs au système familial, puissent le libérer. Il n'a pas une perception exacte de la société, et pense in fine que son aveu, son témoignage viendront à la connaissance de son père qui se vengera.


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Voir aussi les billets concernant le livre de Roland Coutanceau :
1/ Vivre après l'inceste : Haïr ou pardonner
2/ Peut-on pardonner ?

4/ Désordres relationnels et sexuels
5/ Le père incestueux
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8/ Le dévoilement
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2 janvier 2004

2/ Peut-on pardonner ? par Roland Coutanceau

Roland Coutanceau

Vivre après l’inceste – Haïr ou pardonner ?


Première partie par Ida Brein

Page 60

Peut-on pardonner ?

« Je me suis demandé souvent pourquoi, enfant, j'avais pu pardonner à mon père, et pourquoi aujourd'hui je ne peux plus pardonner à mes parents. J'ai compris qu'au-delà de la générosité dont, jeune, on peut faire preuve, ce que l'on attend alors, c'est de ne plus jamais être trahie : or, mes parents m'ont trahie plusieurs fois, mon père en tentant de récidiver avec ma jeune sœur et d'autres, et tous deux en ne reconnaissant ni les conséquences du comportement de mon père sur moi, ni leurs responsabilités.

Ce que j'ai, moi, à pardonner, ce n'est plus ce qui m'a été fait enfant, c'est ce que mes parents n'ont pas fait ensuite pour que les effets du drame s'estompent, ce sont les jugements dont ils m'ont accablée pendant des années, enfonçant ainsi un clou déjà fort douloureux.

Au contraire, parce que je m'étais révoltée, ils attendaient un pardon de ma part, de la part de « leur fille ». Mais, il y a longtemps que je ne suis plus leur fille ! Depuis le jour où ils m'ont demandé de réfléchir à leur place parce qu'il n'était pas question qu'eux se remettent en cause, parce qu'ils minimisaient ce que j'avais vécu et continuaient à vivre comme si de rien n'était. J'ai dû me mesurer à la vie sans eux, j'ai dû me mettre à l'abri de mes parents, parce que leur contact me déstabilisait. Le pire c'est que ma mère m'accusait d'être instable, elle me disait que je finirais à l'asile comme ma tante, sa propre' sœur. De huit à vingt-cinq ans, je peux dire que ma hantise était d'être folle."


Deuxième partie

Roland Coutenceau interrogé par Bernard Geidel, médecin et journaliste

Page 251


Vous semblez accorder plus d'importance à ce que vous appelez la trahison de la fonction paternelle qu'à l' agression sexuelle elle-même.

C'est vrai. Je préfère cette lecture par la trahison de la fonction paternante ou paternelle, car c'est celle qui me semble la plus profonde. Mais je crois qu'il ne faut pas être obsédé par cette capacité qu'ont certains êtres humains de dépasser les trahisons de la vie. Cela leur appartient, il ne faut pas être fasciné par le pardon. Ce n'est pas la seule bonne solution, le penser serait se mettre dans une logique idéaliste, morale. Je suis un thérapeute, un accompagnateur, je fais en sorte que les gens accouchent de leur vérité : haine ou désinvestissement aboutissant à la séparation, ou pardon et reprise de contact, ou encore questionnement qui peut être infini. On ne peut pas tout comprendre. Il faut parfois accepter le mystère, l'énigme de l'évolution des sentiments, l'alchimie interne qui préside aux choix divers. Il en est de cette trahison comme de bien d'autres : leur destin n'est jamais écrit d'avance, il varie.



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1/ Vivre après l'inceste : Haïr ou pardonner


3/ Un silence difficile à rompre

4/ Désordres relationnels et sexuels

5/ Le père incestueux

*/ L'enfant investi d'une sorte de mission

6/ Les milieux sociaux et culturels

7/ Quelques conséquences sur les survivantes

8/ Le dévoilement

9/ Trois profils des pères incestueux

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1 janvier 2004

1/ Vivre après l'inceste : Haïr ou pardonner de Roland Coutanceau

Vivre après l'inceste : Haïr ou pardonner ?
Broché
Paru le : 01/01/2004
Editeur : DDB
Collection : médecine
ISBN : 2-220-05404-7
EAN : 9782220054049
Nb. de pages : 319 pages
Poids : 310 g
Dimensions : 13cm x 20,5cm x 2,1cm
Pourquoi m'a-t-il fait ça ? " C'est la question que se pose encore Ida Brein bien des années après l'agression incestueuse dont elle a été victime.
Elle témoigne, dans la première partie de ce livre, de ce qu'elle a subi, des retombées de cette trahison sur sa vie sentimentale et sexuelle, du parcours accompli pour faire reconnaître sa souffrance et pour la dépasser. Partant d'une évaluation de ce témoignage, Roland Coutanceau, psychiatre et spécialiste de l'inceste, éclaire de façon très novatrice la souffrance psychique de la victime, le silence qui lui est imposé, et ce qui conditionne un tel drame.
Cet acteur de terrain plaide alors avec v conviction pour que la judiciarisation du délit incestueux aille de pair avec un accompagnement de la victime et de son agresseur : le suivi psychologique peut en effet, quand les conditions sont favorables, éviter l'éclatement des liens familiaux. Cet essai très complet, préfacé par Boris Cyrulnik, qui connaît bien les travaux de Roland Coutanceau sur toutes les formes de violence et leurs possibilités de résilience, lance de nombreuses pistes pour que soient mieux compris et pris en charge les acteurs de ce tabou social quasi universel.
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