« Si un individu s’expose avec sincérité, tout le monde, plus ou moins, se trouve mis en jeu. Impossible de faire la lumière sur sa vie sans éclairer, ici ou là, celles des autres »
Simone de Beauvoir – La force de l’âge
« L’information est le seul bien qu’on puisse donner à quelqu’un sans s'en déposséder. »
Thomas Jefferson,
l’un des rédacteurs de la Déclaration d'Indépendance des États-Unis,

De l'esprit des lois (1748)

Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires.
Charles de Secondat, baron de Montesquieu

9 août 1997

1/ Festen de Thomas Vintergerg – 1998 – Suède

C'est l'été et la vie est facile. Dans un manoir à la campagne, on prépare un festin annuel. Tout est mis en œuvre pour fêter les 60 ans du chef de famille, Helge Klingenfelt, propriétaire du manoir et patriarche. Tout le monde a été invité. Les amis, la famille, et les plus chers à son cœur : sa tendre femme Else et leurs trois grands enfants : Christian, Michael et Hélène. Alors que les invités arrivent, Helge convoque son fils aîné Christian. Il lui demande de faire un discours en souvenir de sa sœur jumelle Linda, morte l'année précédente.


Libération – Ange-Dominique Bouzet
Le film carbure à la méchanceté allègre. Alerte, sec, sans excès de sympathie pour «l'humanité» trouble de ses personnages
Première – Diastème
Finalement, passé les quinze premières secondes, où l'on s'étonne de la taille réduite de l'image sur la toile, on rentre dans ce film natuellement, sans se poser d'autres questions que celles liées à sa qualité.
Télérama – Vincent Rémy
Cette très corrosive Fête de famille rappelle une évidence oubliée : les contraintes peuvent être fécondes et libératoires.
Le Monde – Jacques Mendelbaum
Suspense, retournements de situation, hystérie collective et psychologie au rabais contribuent à mettre ce happening cinématographique au niveau d'une dramatique du samedi soir un peu poivrée.
Télérama – Pierre Murat
Un film volontairement imparfait, cadré au petit bonheur la chance, éclairé à la va-comme-je-te-pousse.

DOUHAIRE Samuel
En 1995, les Danois Lars Von Trier et Thomas Vinterberg édictaient les règles du «Dogme», un manifeste de chasteté artistique pour « dépoussiérer le cinéma de tous ses effets superficiels ». De cette accumulation de contraintes (filmer caméra à l'épaule, en son direct, dans des décors réels, sans éclairages artificiels ni musique postsynchronisée, en refusant les genres type polar ou fantastique, etc.) devait naître un cinéma régénéré. Onze ans plus tard, le Dogme est mort et enterré, faute de combattants (ses deux chefs de file sont revenus à un cinéma moins contraint) et de réelle qualité artistique : les films estampillés «Dogma 95» (Open Hearts de Susanne Bier, Lovers de Jean-Marc Barr...) n'ont jamais pu dépasser le naturalisme plan-plan auquel les condamnait le respect strict de la charte. Ce n'est pas un hasard si le meilleur film de la courte histoire du « Dogme », Festen (1998), est celui qui trahit le plus les principes du mouvement. Pour ce règlement de compte parents-enfants façon Bergman trash, Vinterberg avait choisi de tourner en vidéo basse définition gonflée ensuite en 35 mm, pour obtenir une image à gros grain, sale, un peu floue, qui symbolise l'obscurité du secret de famille bientôt dévoilé et rappelle l'aspect amateur des films dits « de famille ». Mais derrière l'apparente maladresse des cadrages, comme si les images étaient prises au caméscope par un convive ayant abusé de l'Aquavit, se révèle une mise en scène des plus roublardes, très sophistiquée, comme si le festin et ses coulisses étaient enregistrés par des caméras de surveillance surplombantes. On peut difficilement faire plus artificiel...
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Autres billets sur le film Festen
2/ Notes sur Festen de Thomas Vinterberg – 1997
3/ Le film Festen pour en parler par Questions d’inceste

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9 mai 1997

Kathryn Harrison, 36 ans, publie un roman sur l'histoire vraie d'un inceste assumé avec son ecclésiastique de géniteur. Fille au père.

09/05/1997
par Annette LEVY-WILLARD

La respectable et reconnue romancière Kathryn Harrison, 36 ans, deux enfants, épouse de Colin Harrison, l'un des rédacteurs en chef de Harper's Magazine, figure de l'establishment intellectuel new-yorkais, publie en ce mois de mai « un cocktail Molotov littéraire ».
The Kiss (le Baiser) décrit à la première personne, dans un roman à suspense, comment elle a, pendant quatre ans, fait l'amour avec son père.
Pas une sordide affaire d'inceste forcé, mais une aventure qui pourrait être banale entre une fille de 20 ans et un homme plus âgé, si l'amant n'était le père biologique.
On referme le livre (le Rapt dans l'édition française) et on se dit : « Quel étrange et beau roman. » Mais l'histoire est vraie. On a alors envie de rencontrer cette jeune femme dont la photo d'Américaine classique, belle et blonde, a fait les couvertures des magazines aux Etats-Unis.
Comment est-elle après avoir vécu cette passion clandestine qui s'est déroulée en forme de road-movie, errant de motels glauques en aéroports paumés ? Étonnamment normale. Du moins en apparence, assise sagement devant une tasse de thé à Paris.
Kathryn Harrison est aussi jolie que sur les photos, un visage distingué, lisse, qui ne révèle rien de ce passé. Mais elle parle avec une sorte de force intérieure, de détermination, qui évoque le style d'écriture de son livre. The Kiss lui vaut maintenant une célébrité sulfureuse aux Etats-Unis.

La presse américaine a reconnu les qualités littéraires du récit mais s'est offusquée de la levée « du dernier tabou, celui de l'inceste ». Kathryn Harrison a aussi été traitée de mère indigne qui va traumatiser ses enfants, et on l'a accusée de céder à la mode des « confessions scandaleuses ».
D'ailleurs, la couverture du livre en rajoute, affichant la photo de la petite Kathryn et de son père ­ les têtes soigneusement cachées par le titre ­ où on voit surtout les jambes nues de la fillette en robe d'été.

Kathryn Harrison ne voulait pas de cette image : « Cette photo évoque un inceste d'enfant. Je me suis battue pour qu'on n'imagine pas qu'il s'agissait d'un viol, nous dit-elle. Parce que je ne suis pas une victime. »
Et c'est justement d'où vient le trouble et le malaise de cette histoire hors des règles de l'humanité ­ et pourtant dans le contexte bien moderne d'une banlieue chic de Los Angeles.
Les parents de Kathryn Harrison avaient 19 ans quand elle est née. Mariés à la hâte, ils ont divorcé six mois après sa naissance, le père ayant été mis dehors par la belle-famille. La fillette est donc élevée par ses grands-parents (d'origine juive). Sa mère, trop jeune, ne s'en occupe pas. Une jeunesse triste et solitaire. Etudiante, elle retrouve à 20 ans ce père inconnu qui décide soudain de débarquer dans son existence. Il est devenu pasteur, s'est remarié, a d'autres enfants. Personnage fort antipathique ­ pour les lecteurs du livre, il s'acharne aussitôt à prendre possession de cette jeune fille émotionnellement vulnérable, s'appuyant sur des discours pseudo-religieux pour la convaincre d'avoir des rapports sexuels avec lui.
La vie de Kathryn va basculer avec un baiser à l'aéroport. Son père l'étreint pour lui dire « au revoir » et... « ce n'est plus un baiser chaste aux lèvres fermées. Mon père enfonce profondément sa langue dans ma bouche, mouillée, insistante, elle me fouille avant de se retirer. Il ramasse le sac de son appareil photo, puis, avec un sourire radieux, il rejoint la file des passagers qui disparaissent dans l'avion ». Elle vivra ce baiser comme une « piqûre fatale, comme celle d'un scorpion: un narcotique qui se transmet de ma bouche à mon cerveau ».
A l'exception de l'étape suivante vers la consommation sexuelle ­ la description d'un cunnilingus par le père (la nuit, dans la maison de la grand-mère paternelle !) ­, le récit ne rentre pas dans les détails érotiques.

« Soudain, ce type que je ne connaissais pas me trouve belle, intelligente, il ne veut que moi, explique aujourd'hui Kathryn Harrison. C'était au printemps de 1981. Il voulait tout de suite qu'on ait une relation sexuelle. J'ai résisté jusqu'à l'automne. Je savais que c'était mal. Que coucher avec lui était inacceptable. Il se mettait en colère, on n'arrêtait pas de se disputer là-dessus. Je ne voulais pas le faire, mais, à l'automne, j'ai fini par céder. J'avais peur de le perdre. J'étais totalement amoureuse de lui, obsédée, envoûtée. »

Ce père jeune, 39 ans, n'est pas un modèle de séduction: gras, des yeux injectés de sang, déplaisant et mystique. « L'érotisme n'est pas toujours lié au physique, souligne-t-elle. A l'université j'avais des boy-friends plus séduisants. Mais je l'aimais. »

Pendant quatre ans donc, elle laisse tomber études, copains, famille, pour suivre ce père-amant, malade et possessif, qui la surveille, allant jusqu'à l'installer dans sa paroisse, aux côtés de sa deuxième femme et de ses enfants. « Ce ne serait pas passé si j'avais été élevée avec lui, explique Kathryn Harrison. D'ailleurs, il n'a pas tenté de séduire son autre fille. » A l'époque, elle pense au suicide, consulte un psychanalyste, sombre dans la mélancolie. Elle ne réussit à rompre l'envoûtement qu'à la mort de sa mère atteinte d'un cancer. L'histoire se termine sans drame : elle annonce simplement à son père, au téléphone, que c'est fini.

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Edition Française : Kathryn Harrison Le rapt (l'Olivier, 2001)
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Autres billets sur le livre Le rapt de Kathryn Harrison
Rimbaud – « Je est un autre » : L'interdit de l'inceste chez Christine Angot par Alexis Nivet
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Autres billets sur la loi du 8 février 2010
Loi Inceste – Discussion en séance publique – 2e séance du mardi 26 janvier 2010 – 3e séance du jeudi 28 janvier 2010

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1 janvier 1997

L'enfant victime d'inceste par Yves-Hiram Haesevoets – 1997

De la séduction traumatique à la violence sexuelle, réflexion thérico-clinique sur la psychopathologie de l'inceste
Broché
Paru le : 01/01/1997
Editeur : De Boeck
Collection : Oxalis
ISBN : 2-8041-2466-5
EAN : 9782804124663
Nb. de pages : 262 pages
Poids : 470 g
Dimensions : 16cm x 24,1cm x 1,8cm
Véritable abus de pouvoir sur le corps de l'enfant et son psychisme, l'inceste représente le tabou d'entre les tabous.
Face à ce phénomène particulier et complexe qui apparaît au sein de familles sacrificielles, le présent ouvrage offre une approche théorico-clinique la plus large possible. Sur la base d'une vaste recherche bibliographique internationale et d'une expérience clinique éprouvée, l'auteur propose tout d'abord une réflexion nourrie de différents courants, de la mythologie à la psychologie clinique en passant par l'anthropologie, la pensée systémique et la psychanalyse.
L'ouvrage s'articule ensuite autour de plusieurs thèmes : la famille à transactions incestueuses et le phénomène de transmission transgénérationnelle, le principe de victimisation et le syndrome d'accommodation, les conséquences symptomatologiques pour l'enfant victime et la question du traumatisme sexuel précoce, les caractéristiques psychodynamiques du parent abuseur et celles du parent non abuseur, et enfin les différentes modalités de la prise en charge du traitement thérapeutique.
Confronté à cette problématique humaine des plus sensibles, l'auteur offre en guise de conclusion quelques éléments de réflexion sur la prise de conscience collective de ce phénomène, l'action préventive et ses limites, et les efforts à mener en matière de prise en charge thérapeutique.
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Autres billets sur L'enfant victime d'inceste

L'enfant victime d'inceste par Yves-Hiram Haesevoets – 2003
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