« Si un individu s’expose avec sincérité, tout le monde, plus ou moins, se trouve mis en jeu. Impossible de faire la lumière sur sa vie sans éclairer, ici ou là, celles des autres »
Simone de Beauvoir – La force de l’âge
« L’information est le seul bien qu’on puisse donner à quelqu’un sans s'en déposséder. »
Thomas Jefferson,
l’un des rédacteurs de la Déclaration d'Indépendance des États-Unis,

De l'esprit des lois (1748)

Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires.
Charles de Secondat, baron de Montesquieu

1 avril 2010

5/ Docteur Aldo Naouri, vous êtes dangereusement irresponsable

Un inceste sans passage à l'acte : la relation mère-enfant
par Aldo Naouri
Page 115

L'Œdipe, ce n'est pas en effet ce que laissent croire nombre de discours. Ce n'est pas une histoire de petit garçon qui veut se marier avec sa mère et qui y renonce magiquement parce que son père l'en aurait dissuadé.
Ce n'est pas une histoire de petite fille qui découvre son envie de supplanter sa mère et qui rentre spontanément dans le rang parce qu'elle a découvert les sortilèges de l'identification.
L'Œdipe, c'est avant tout la conséquence de cette propension incestueuse qui revêt les atours d'une histoire d'amour infiniment tragique et dont nul ne se remet jamais tout à fait. L'objet d'amour, pour le petit garçon comme pour la petite fille, c'est cette mère toute-puissante, toute dévouée et elle seule.
Que l'un et l'autre puissent rencontrer un jour la métaphore paternelle, et s'adapter à son incontournable réalité, ils n'en passent pas moins le reste de leur vie à en espérer la disparition. Quant au père, fût-il admirablement doué pour la chose, il ne peut rien faire, à lui seul, pour sortir ses enfants de ce douloureux débat.
Comme dans toute histoire d'amour, c'est à l'objet d'amour et à lui seul, de trancher dans le vif. Autrement dit, c'est à la mère de nettement signifier, à son fils, comme à sa fille, qu'elle a d'autres horizons qu'eux et qu'en particulier, en guise d'objet d'amour, elle a leur père – ce qui a pour mérite de mettre ce père à une place salvatrice pour tout le monde.
…/…
On conçoit que cette condition première requière de la mère, avant toute chose, le renoncement total et délibéré à sa propension incestueuse et pas seulement sa mise en sommeil. Ce qui survient, il faut le dire, de plus en plus rarement de nos jours.
Voilà pourquoi j'ai voulu insister sur les phénomènes biologiques. Ils aident à mieux comprendre la manière dont la relation mère-enfant est agencée par les effets traçants du séjour de chaque individu dans le ventre maternel. Sans rentrer dans les détails, il n'est pas difficile de concevoir que les perceptions du petit âge prennent pour tout sujet, comme je l'ai déjà laissé entendre, valeur d'une vérité difficile à remettre en question.
Une petite fille, satisfaite par sa mère à en être étouffée, agira plus tard de la même manière avec ses propres enfants. Un petit garçon, élevé dans les mêmes conditions, concevra plus tard sans en être heurté un comportement de la mère de ses enfants qui lui rappellera celui de sa propre mère. Quand elles se fixent et qu'elles parviennent à se reproduire à l'identique, ces attitudes finissent au fil des générations par faire glisser imperceptiblement de la propension incestueuse à l'acte incestueux lui-même.
J'en veux pour preuve la fréquence de la complicité des mères dans les incestes du premier type, la non-rareté des incestes homosexuels mère-fille et enfin ces paroles d'un père, jusque-là exemplaire et qui après la naissance de son second enfant, un garçon, s'était livré à des attouchements sur sa fille : « J'sais pas ce qui m'a pris… J'ai cru que ma femme pourrait m'aimer comme j'voulais qu'on m'aime… J'lui ai demandé… J'ai attendu ... Elle l'a pas fait... Maintenant, elle a le petit qui va tout prendre... J'ai pas trouvé auprès d'elle… J'ai pas trouvé… J'sais pas ce qui m'a pris… Il a fallu que j'sois fou pour penser que peut-être ma fille ... »

…/…
Page 125

Mais j'irai plus loin encore en ajoutant, qu'à mon sens, le point de départ d'une histoire qui aboutit à un inceste est toujours, et quoi qu'il puisse en paraître, maternel. Autrement dit, un père qui commet l'inceste sur sa fille ne fait que déplacer sur elle l'invitation à l'inceste que lui aura fait plus ou moins ouvertement sa mère (il deviendrait inces-tueur de sa fille pour se venger de sa mère inces-tueuse ?). Ce qui laisse entendre que l'interdit, que son père aura dû en principe lui signifier, n'a pas été suffisamment intériorisé en raison du fait que ce même père avait probablement été désavoué par sa compagne et qu'il aura subi sans rechigner ce désaveu pour avoir eu lui-même une mère à teinture incestueuse et un père pas très net à cet égard, etc. C'est pourquoi j'ai dit tout à l'heure que les glissements successifs au fil des générations finissaient toujours par entrainer tôt ou tard des passages à l'acte. C'est pourquoi aussi j'ai tenu à relever l'importance de la fonction vicariante du corps social.

Je conclurai enfin en faisant remarquer que si le débat autour de l'inceste ne concernait que la famille, les mécanismes de la reproduction ou les modalités d'élevage des enfants, ce ne serait que demi-mal et je serais prêt à reconnaître que je n'ai prononcé qu'un plaidoyer pro domo. Mais ce problème dépasse, hélas et de loin, ces seuls secteurs. Puisque l'abrasion généralisée des différences qu'il promeut altère notre entendement et menace de la façon la plus insidieuse l'organisation de nos sociétés.

Mais, comment faire pour restaurer, aujourd'hui, ces indispensables différences, sans dénoncer au préalable la fascination exercée par l'effet de miroir et par l'image de l'identique ?

Voilà une question difficile. J'avoue n'y avoir pas même trouvé un début de réponse.

Quelqu'un en a-t-il ?
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Commentaire de l'Auteure obligatoirement Anonyme, parce qu'elle, quand elle a dénoncé, on lui a dit "tais-toi".
Bien sûr, on va les plaindre les pauvres garçons qui deviennent des adultes irresponsables à cause de leur mère qui elle est responsable. On peut y ajouter un peu de résilience pour les "victimes des agresseurs" avec votre collègue Boris Cyrulnik et on a des hommes infantiles à aider tandis que les femmes sont responsables et doivent s'en sortir toutes seules par la résilience qui est de mise dans notre société.
Et l'enfant incesté, comment se venge t-il du parent incestueur ?
Les dérives dues à ce genre de développement :
Acquitté après avoir violé sa fille de 4 ans pour cause de "sexomnie"
Vous êtes bien aidé par le docteur Massardier qui fait par ailleurs un travail remarquable. Il n'est pas dangereux, lui, les hommes sur lesquels il fait ses études sont en prison.
Pères incestueux par le docteur Luc Messardier de Questions d'inceste

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Autres billets sur le livre De l'inceste par Françoise Héritier, Boris Cyrulnik et Aldo Naouri, Domnique Vrignaud & Margarita Xanthalou
1/ De l'inceste par Françoise Héritier, Boris Cyrulnik et Aldo Naouri
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