« Si un individu s’expose avec sincérité, tout le monde, plus ou moins, se trouve mis en jeu. Impossible de faire la lumière sur sa vie sans éclairer, ici ou là, celles des autres »
Simone de Beauvoir – La force de l’âge
« L’information est le seul bien qu’on puisse donner à quelqu’un sans s'en déposséder. »
Thomas Jefferson,
l’un des rédacteurs de la Déclaration d'Indépendance des États-Unis,

De l'esprit des lois (1748)

Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires.
Charles de Secondat, baron de Montesquieu

31 août 2009

Courage : Emission "Médiations" – Interdits ordinaires

Emission "Médiations"

Un mot revenait sur toutes les lèvres : courage. Impression lointaine pour Camille… mauvais terme plutôt sens du devoir alors qu’elle restait convaincue du silence de sa famille parce que l’armée, la « grande muette », avait appris à son père que pour demeurer inconnu, il était préférable de rester dans l’anonymat sans se manifester, justement celui qui protège et permet aussi toutes les exactions. En prenant la parole, elle ne savait pas comment faire pour éviter de dire le contraire de ce qu’elle avait en elle ? Elle était très tentée par une abstention parce que le mieux, était encore de se taire. Au moins, quand elle se taisait, elle ne disait pas le contraire de ce qu’elle pensait. Elle luttait contre ses quinze ans durant lesquels se taire était la meilleure façon qui lui avait été donnée de s’exprimer. Que risquait-elle ? Le danger lui paraissait plutôt moral. Avait-elle le droit de dire l’indicible, l’insupportable de médiocrité ? Camille avait l’avantage d’avoir été élevée dans une famille, juste assez cultivée pour comprendre de quoi il retournait, et assez peu influente pour avoir des intérêts à défendre. D’aucuns, dans sa famille n’avaient nié les faits et les implications. Le silence servait de refuge à chacun. Impensable de traiter publiquement Camille de folle qui risquait moins que les autres. À ce point de son engagement, elle ne pouvait plus rester dans cette sorte d’omertà qui servait les violeurs et donner des leçons de probité à la terre entière. Tout en gardant l’humilité pour seul orgueil, elle allait mouiller sa chemise. À ce moment-là, elle avait un sentiment d’assentiment. Son devoir restait de se dépêtrer avec les faiblesses et les vengeances dans le respect des âmes de tout un chacun.
…/…

Il était vingt-deux heures trente et une larme trop tard pour Georg. Lorsque Camille apparut à l’écran, il ronflait en s’affalant sur la moquette.

Camille put lancer un regard triste à Jean resté attentif et ne dirait rien concernant l’émission. Sûrement que ça n’avait aucune gravité, mais elle perdait courage et la notion de ce qui était important ou non. C’était son petit problème de rien du tout. Plus qu’une déception, si fait qu’elle restait là, assise, bien droite. L’attitude de Georg marquait son refus d’écouter, comme un jugement de non-lieu. Ne rien dire… ne rien laisser paraître, garder son cri, comme une note qui corne, cette note coincée pour les organistes, cette note intemporelle, inachevée. Sa prise de parole restait plutôt insignifiante, trop inconvenante pour qu’il l’écoute. Alors qu’elle lui avait lancé, à travers l’émission, toutes sortes de perches afin de lui dire qu’elle gardait tout espoir à travers lui et c’était justement ce qu’il ne voulait pas entendre. Camille, elle, comprenait que la fille que Georg connaissait n’existait plus.

Le lendemain de l’émission, elle avait endossé le rôle de la victime solide devant six millions de spectateurs, mais elle savait que son tuteur de résilience s’était défilé et qu’elle devait faire avec les six millions et sans le tuteur. Elle prenait conscience de la trace plus menteuse. Elle n’était pas encore en mesure de vivre avec l’existence du viol, même si elle affirmait le contraire, mais elle ne serait plus obligée d’oublier. Cette émission avait eu lieu, elle était transcrite : Camille n’était plus une affabulatrice.

Le fait que le père de Camille soit officier supérieur faisait peur aux journalistes, comme si en exerçant une autorité par les armes il devait être plus méchant que les autres. Salutaire, pour Camille, de rester persuadée qu’il avait plus de facultés à exercer son autorité et jouer de la permissivité de la société. Ni plus féroce, ni plus calculateur, mais il était pleutre. Camille soutenait que le système du viol par inceste, d’où qu’il vienne, restait intéressant à étudier pour qu’il cesse de se reproduire. Une méthode totalitaire universelle dans laquelle chacun pouvait se trouver impliqué. Un procédé par lequel les bourreaux s’assurent de la complicité de leur victime et de leur entourage par leur silence, non par mesure de commodité, mais par idéologie dominatrice. Une domination accessible aux plus ou moins influents dans notre société.

Extraits d’un tapuscrit en cours : Interdits ordinaires.

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