Comme l’indique son titre, la loi n° 2010-121 du 8 février 2010, tendant à inscrire l'inceste commis sur les mineurs dans le Code pénal et à améliorer la détection et la prise en charge des victimes d'actes incestueux, a inséré, dans la section dudit Code relative aux agressions sexuelles, un paragraphe 3, intitulé « De l'inceste commis sur les mineurs », qui comprend les articles 222-31-1 et 222-31-2. Le premier de ces textes dispose que « les viols et les agressions sexuelles sont qualifiés d'incestueux lorsqu'ils sont commis au sein de la famille sur la personne d'un mineur par un ascendant, un frère, une sœur ou par toute autre personne, y compris s'il s'agit d'un concubin d'un membre de la famille, ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait ». À la lecture du rapport élaboré à l’appui de la proposition de loi ayant finalement abouti aux modifications sus-évoquées du Code pénal, le double objectif poursuivi par le législateur était, d’une part, de mieux prévenir l’inceste et, d’autre part, de mieux accompagner les victimes. Pour ce faire, l’identification légale des actes incestueux est apparue indispensable afin de recueillir des statistiques sur l'ampleur du phénomène de l’inceste. Comme le souligne la circulaire du 9 février 2010 d’application de la loi, afin d’éviter que ces statistiques ne soient faussées en raison de la coexistence de deux régimes différents de droit pénal, la volonté du législateur a été de permettre l’application immédiate des nouvelles dispositions. C’est la raison pour laquelle l’insertion dans le Code pénal de la « qualification » d’inceste n’a pas correspondu à la création d’une nouvelle infraction à laquelle des peines spécifiques seraient attachées. Ainsi, comme le souligne la circulaire, « d'un point de vue juridique, les articles 222-31-1 et 227-27-2 [du Code pénal] créent une forme de “surqualification” d'inceste, qui se superpose aux qualifications et circonstances aggravantes existantes en matière de viols, d'agressions sexuelles et d'atteintes sexuelles mais ne constituent nullement de nouvelles incriminations et ne modifient pas les peines encourues ».
Malgré tout, par un arrêt du 22 juin 2011 (n° 10-88.885), la Chambre criminelle de la Cour de cassation a transmis au Conseil constitutionnel une QPC invoquant la méconnaissance par l’article 222-31-1 du Code pénal, notamment, des « principes de clarté de la loi, de prévisibilité juridique et de sécurité juridique ». Rappelant qu’en vertu « de l'article 34 de la Constitution, ainsi que du principe de légalité des délits et des peines qui résulte de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 », le législateur a « l'obligation de fixer lui-même le champ d'application de la loi pénale et de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis » (cons. 3), les Sages considèrent que, « s'il était loisible au législateur d'instituer une qualification pénale particulière pour désigner les agissements sexuels incestueux », il ne pouvait, sans méconnaître le principe sus-énoncé, « s'abstenir de désigner précisément les personnes qui doivent être regardées, au sens de cette qualification, comme membres de la famille » (cons. 4). Par conséquent, le Conseil déclare l’article 222-31-1 du Code pénal contraire à la Constitution.
En application de l’article 62, alinéa 2, de la Constitution, le Conseil constitutionnel décide que l’abrogation de l’article 222-31-1 du Code pénal prend effet dès la publication de la décision et est applicable à toutes les procédures non définitivement jugées à cette date. Par ailleurs, lorsque l’affaire est définitivement jugée, par exception à l’article 112-1, alinéa 3, du Code pénal duquel il se déduit que le principe de la rétroactivité in mitius ne peut s’appliquer aux condamnations définitives, les Sages exigent que soit retirée du casier judiciaire la qualification selon laquelle le crime ou le délit présente un caractère « incestueux ».
Il est à noter que cette décision va nécessairement avoir pour « victime collatérale » l’article 227-27-2 du Code pénal, également issu de la loi du 8 février 2010, qui pose la même définition de l’inceste à propos des atteintes sexuelles, infractions désignant la pénétration et/ou les attouchements sexuels pratiqués sur un mineur sans « violence, contrainte, menace ou surprise ». Par ailleurs, les dispositions procédurales issues de cette même loi, en ce qu’elles se fondent sur l’existence de la « qualification » d’inceste, sont identiquement remises en cause, telles que l’obligation faite au procureur de la République et au juge d’instruction, sauf décision spécialement motivée, de désigner un administrateur ad hoc chargé de défendre les intérêts du mineur (art. 706-50 du CPP).
Par sa décision du 16 septembre 2011, le Conseil constitutionnel fait une application classique de l’exigence de précision de la loi pénale. En effet, à l’instar de la Cour européenne des droits de l’Homme qui, sur le fondement de l’article 7, § 1er, de la Convention, impose que les normes pénales soient précises, prévisibles et accessibles (voir, notamment : CEDH, 26 avril 1979, Sunday Times c. Royaume-Uni, n° 6538/74, § 49), le Conseil veille à ce que les termes employés par le législateur dans la définition, notamment, des incriminations soient suffisamment précis afin de prévenir l’arbitraire du juge. Ainsi, à propos du délit de malversation, les Sages n’ont pas hésité à censurer le texte qui allait devenir la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 en ce qu’il ne déterminait pas les éléments constitutifs de cette infraction (Cons. const., déc. n° 84-183 DC du 18 février 1985, loi relative au redressement et à la liquidation judiciaire des entreprises, cons. 12).
S’agissant de l’inceste, l’article 222-31-1 du Code pénal le définit comme l’agression sexuelle commise « au sein de la famille » sur la personne d'un mineur. Afin de satisfaire les « qualités » attendues de la loi pénale, une telle définition devrait désigner précisément les personnes qui doivent être regardées, au sens de cette nouvelle « qualification », comme membres de la « famille ». Comme le souligne le commentaire de la décision aux Cahiers du Conseil constitutionnel, « la notion même d’inceste implique de définir une limite de proximité familiale au-delà de laquelle les relations sexuelles sont admises. Le Code civil prohibe le mariage jusqu’au troisième degré en ligne collatérale. En droit pénal, c’est au législateur de fixer également une limite. Il ne pouvait pas déléguer au juge le pouvoir de le faire en fonction des circonstances ». C’est pour cette raison que, finalement, l’article 222-31-1 du Code pénal est censuré.
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